vendredi 18 mai 2007

Penser la décroissance avec Castoriadis

Exposé de Michel Guet, le 6 mars 2007

Quelques mots avant de s’intéresser à Castoriadis.
Je voudrais d’abord attirer votre attention sur nous-mêmes, sur cette assemblée !

Pourquoi sommes-nous réunis ce soir, et quel est notre plus petit commun dénominateur, ici et maintenant ?

Eh bien il me semble que c’est un mot, rien qu’un mot : « DÉCROISSANCE ».
Nous sommes donc réunis ici autour d’un mot dont nous ne savons pas exactement quel est son contenu...

Bien sûr ce n’est pas tout a fait vrai, chacun de nous a une petite idée de ce que « décroissance » veut dire, et en réalité, nous cherchons seulement à savoir si le voisin pense comme nous, s’il met sous le mot « décroissance » la même chose que nous. Il y a donc un doute, un questionnement. Au passage, si le voisin en sait plus que nous, tant mieux, nous sommes là pour apprendre, c’est le contrat : s’informer, mettre en commun nos savoirs, nos expériences.

Eh bien ça, c’est une situation peu courante, une situation rare, je dirais même très rare.

Parce qu’il y a, contrairement à nous, à cette heure même, dans cette ville un tas de gens réunis autour d’autres mots dont ils savent parfaitement ce qu’ils veulent dire, (surtout en ce moment), par exemple « socialisme », « communisme », « libéralisme », ou « économie », « développement », « croissance » etc. Ces mots sont connus, ils ont une histoire, on sait à peu près ce qu’il contiennent, ils sont déjà INSTITUÉS.

Mais nous, nous sommes d’incroyables aventuriers, nous prenons un risque fou, celui d’aller vers quelque chose dont nous ne connaissons pas encore vraiment le contenu. On pourrait appeler cela une assemblée « ouverte », enfin, pour l’instant, elle est ouverte...
La décroissance n’est pas encore tout à fait instituée. Et nous nous sommes réunis pour faire cela : instituer la décroissance, lui donner du contenu, ce que nous pensons en notre âme et conscience être la décroissance.

Voilà pourquoi je souhaitais attirer votre attention sur nous-mêmes et sur cette situation peu courante qui consiste à instituer.

(Définition de Jacques Ellul, Histoire des institutions de l’antiquité, 1961, p.V.)
Est « institution » tout ce qui est volontairement organisé par une société donnée.
Nous sommes bien « une société donnée ». Nous cherchons bien à organiser volontairement quelque chose ; ce quelque chose ne l’est pas encore tout à fait, sinon nous n’aurions pas à faire ce travail. Ce quelque chose, se nomme « Décroissance », c’est la seule chose dont nous soyons sûrs.

Or Castoriadis est le penseur, le théoricien de l’institution, du phénomène INSTITUTION.

Hélas, certains vont être déçus ce soir : nous n’allons pas parler de décroissance, nous allons nous placer en amont (si vous le voulez bien) de la décroissance. Nous n’allons pas bâtir la maison tout de suite et avons jugé pertinent de poser au préalable la question :
« existe-t-il des outils qui nous permettront de bâtir solidement la maison ? »
SOLIDEMENT, sinon elle s’écroulerait bien vite.

Si ces outils n’existaient pas, il nous faudrait les inventer, mais s’ils existent autant les utiliser.

Petit rappel. Lors de la dernière réunion, il fut question de Guy Debord et de la « Société du spectacle » et j’ai osé dire qu’il valait mieux commencer par Castoriadis et finir par Guy Debord que l’inverse. Je savais pour les avoir comparés que les outils que Castoriadis met à notre disposition permettent effectivement de comprendre le Situationnisme, mais le Situationnisme ne permet pas de comprendre le phénomène INSTITUTION lequel se trouve en amont, puisque « société » et « spectacle » sont eux-mêmes des institutions. (Mais vous verrez tout de suite qu’il y a eu un lien entre Castoriadis et Debord)

Ce que j’ai fait lors de la dernière assemblée a consisté à répondre à une question qui ne m’était pas posé ! « Pour bâtir la maison, les outils existent-t-ils ? »
J’ai dit : oui il existe des outils chez Castoriadis !
(peut-être avez-vous compris CASTORAMA ?)
Pour cela on m’a puni. On m’a pris au mot. Toi qui l’ouvres, la prochaine fois tu t’y colles !
C’est toujours celui qui dit qui y est.

Castoriadis ayant passé au moins trente ans de sa vie à penser l’institution, mérite que nous lui accordions une petite soirée et peut-être plusieurs, nous déciderons...

Il est vrai aussi que Castoriadis n’a jamais directement parlé de « décroissance », entre 1960 et 1970 ce mot n’était connu que de rares individus.
Mais Castoriadis a fait autre chose de tout aussi utile :
— il a condamné et démontré la folie de la « pseudo-maîtrise » « pseudo-scientifique » de la nature, en laquelle il voyait le fondement même du capitalisme moderne, à peu près à la même époque que Jacques Ellul.
— il a condamné le « tout économique » un peu avant Georgescu-Roegen (qui lui, est bien le père de la décroissance)
tout ceci depuis les années 60 (Castoriadis était bien placé pour le faire : économiste, il fut responsable d’un département statistiques à l’OCDE pendant plus de vingt ans),

Cornélius Castoriadis — 1922 / 1997
sources : — C.C. « Une société à la dérive », seuil, 2005
— Roland Biard : « Dictionnaire de l’extrême-gauche de 1945 à nos jours » Belfond 1978
abréviation : — CduL (C.Castoriadis : Les Carrefours du Labyrinthe vol I à VI), toutes les citation tirées de
CC sont entre guillemets

Études de philosophie, d’économie et de droit à Athènes

1937 : adhère aux jeunesses communistes - Athènes — 1941 : cofondateur du groupe clandestin Nea Epochi, visant à réformer de l’intérieur le PC grec — 1942 : adhère au trotskisme.

1945 décembre : CC arrive en France

1949-1965 : cofondateur de « Socialisme ou Barbarie » (revue « mythique », 40 numéros en 16 ans), avec Claude Lefort, puis Edgar Morin, Jean-François Lyotard, etc.
« SouB est né à partir d’une tendance qui s’était constituée, l’été 46, au sein du Parti Communiste Internationaliste (PCI : 700 militants en France), parti trotskiste français » (CC p.27 et ss.) « les premiers documents de cette tendance ont été diffusés à partir d’août 46 » (CC p.29). Mais ce n’est qu’à partir de la scission de 1948 que se forme « un groupe du même nom. SouB évolue rapidement et rompt avec le trotskisme » (Biard, 346)
[SouB est alors très proche du conseillisme ouvrier — avec l’Internationale Situationniste plus tard. En juillet 60 une brochure est rédigée et publiée conjointement par P. Canjuers (Daniel Blanchard, de SouB.) et Guy Debord (I.S.) (Gonzalves, 32), titre : « Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire ».
Qu’est-ce que le conseillisme « Le Conseillisme est l’une des expression les plus pures d’un marxisme débarrassé de l’autoritarisme léniniste » (Biard, 117)
« Deux scission priveront SouB d’un certain nombre de ses rédacteurs : Claude Lefort et certains militants de la ’’gauche’’ du groupe vont rejoindre Informations et Liaisons ouvrières et en 1959. Lyotard et certains militant formeront avec d’autres groupes conseillistes le groupe Pouvoir Ouvrier » (Biard, 348)

1948-1970 : économiste (à partir de 1960 — création de l’OCDE — où il est nommé chef des Études Nationales, puis en 1968 : directeur à la Direction des Études de croissance, des statistiques et des comptes nationaux)

1974-1976 : enseigne l’économie à la faculté de Nanterre

1972-1975 : collabore à « Textures » avec Marcel Gaucher, Claude Lefort, etc.

1977-1980 : Collabore à « Libre, politique, anthropologie, philosophie » (Claude Lefort, Pierre Clastre, Miguel Abensour, Marcel Gaucher, Alfred Adler, Maurice Luciani, Krzysztof Pomian, Pierre Manent, Simone Debout, Jacques Baynac, Marshall Sahlins, Louis Dumont).

1973-1997 : psychanalyste (rallié au Quatrième Groupe psychanalytique), Castoriadis sera le compagnon de Piera Aulagnier

1980-1995 : Directeur d’études et séminaires à l’EHESS

CC décède en 1997
I Trois raisons de s’intéresser à C.C.
1) individu singulier
— son engagement de militant, sa pratique des groupes (proche du conseillisme), son parcours, son oeuvre surtout, qui se déploie sur deux axes :
a) sciences sociales : histoire, philo, économie, droit, théories politiques
b) sciences de l’homme : psychologie, psychanalyse, soma, psyché
deux axes que distinguait bien CC. « C’est une erreur de psychanalyste de vouloir déduire la société du fonctionnement psychique, et l’erreur symétrique du sociologue de ne voir dans la psyché que le produit de la société et de la socialisation » CC. C.du L. VI p.217

2) J’ai déjà parlé de sa critique de l’économique, mais il manifesta un réel intérêt pour l’environnement et les mouvements écologistes, en effet les marxistes qui n’ont pas méprisé les problèmes environnementaux — sinon raillé l’écologie et moqué la croissance zéro — se comptent sur les doigts d’une main : C.C., André Gorz, et puis qui ? (François Partant, Yvan Illich, Geogescu-Roegen et Ellul, ne sont pas des « marxistes » !)

3) enfin pour les outils qu’il nous apporte
nous ne traiterons pas des outils concernant les sc. de l’H. (psyché/soma), issus de la tradition freudienne
— monade psychique > phase triadique > socialisation
— « clôture », « magma », « chaos », « sans fond »
— plaisir de représentation qui l’emporte sur le plaisir d’organe
CC. C.du L. VI p.122
mais des outils relatifs au social qui sont d’une part très originaux et d’autre part, des plus utiles pour ce qui nous intéresse, principalement :
a) l’institution(1)-imaginaire(2)-sociale(3) Titre de son premier ouvrage important, « L’institution imaginaire de la société » 1975
b) le couple hétéronomie/autonomie

(nous laisserons de côté)
c) l’ensembliste-identitaire, « ensidique »
d) Validité de fait, validité de droit
e) Le social-historique

II L’institution

L’institution est un concept absolument capital et fondateur
Qu’est-ce que l’institution :
« Pour commencer [par institution] nous n’entendons pas, bien entendu, la sécurité sociale ou un dispensaire d’hygiène mentale [ni la cancoillotte ou la Transjurassienne, institutions francomtoises]. Nous entendons d’abord et surtout le langage, la religion, le pouvoir, nous entendons ce qu’est l’individu dans une société donnée » C.du L. VI p.120 « l’ensemble des outils, du langage, des procédures de faire, des normes et des valeurs (...) tout ce qui, avec ou sans sanction formelle, impose des façons d’agir ou de penser ». Une Société à la dérive, p.67.

Imaginaire et sociale
« Pourquoi ’’imaginaires’’  ? Parce qu’elles ne sont ni rationnelles (on ne peut pas les ’’construire logiquement’’), ni réelles (on ne peut pas les dériver des choses) » (...)
« sociales, parce qu’elles ne sont rien si elles ne sont pas partagées, participées par ce collectif anonyme, impersonnel, qui est aussi chaque fois la société ». Une Société à la dérive, p.68.

L’Institution imaginaire sociale selon C.C. se déploie dans deux directions opposées : « arithmétique » et « mythe ».
Côté imaginaire arithmétique : (c’est l’ensembliste-identitaire), « l’institution de la société opère (agit et pense) selon les mêmes schèmes qui sont actifs dans la théorie logico-mathématique des ensembles : éléments, classes, propriétés, relations, tout cela étant posé comme bien distinct et bien défini. » « Le schème opérateur fondamental ici est le schème de la déterminité, l’existence c’est la déterminité » [en gros le monde physique]

Côté imaginaire mythe, l’existence c’est la signification. « Les significations peuvent être repérées, mais elles ne sont pas pleinement déterminées. Elles sont indéfiniment reliées les unes aux autres moyennant un mode de relation qui est le renvoi » Une Société à la dérive, p.73.


III Comment agit et opère l’institution ?

1) l’Institution première de la société est la société elle-même

« L’institution première de la société est le fait que la société se crée elle-même comme société et se crée chaque fois en se donnant des institutions animées par des significations imaginaires sociales spécifiques à la société considérée (...). Et cette institution première s’articule et s’instrumente dans des institutions secondes (...) transhistoriques, (langage, individu, famille...) ; et des institutions secondes spécifiques à des sociétés données (la polis grecque, l’entreprise capitaliste) » C.du L. VI p.124
Pour le présent, nous pouvons ajouter comme institutions spécifiques, nation, patrie, mais encore progrès, développement, croissance et... décroissance.

Par quoi la société s’institue-t-elle d’abord : par le langage
« Il y a chaque fois institution de la réalité et de la rationalité par la société considérée. L’illustration la plus immédiate est fournie par le langage. À la fois porteur et instrument essentiel de l’organisation du monde — du monde « naturel », social, des linéaments rationnels de toute réalité en général —, le langage est historiquement institué, et chaque fois institué comme langage différent. Il n’existe pas de langage en général, de langage pur (...) Ce qui est commun à tous les langages (...) : le pouvoir de signifier, le faire-être d’un monde de significations. » Une sté à la dérive, p.141

[du langage dériveront toutes les institutions, puisque le langage produit le sens, bien sûr]

2) L’institution est donc « sens », elle produit le sens pour tous
« L’institution fournit donc, désormais, le ’’sens’’ aux individus socialisés ; mais elle fournit aussi les moyens de faire être ce sens pour eux-mêmes, et elle fait cela en restaurant au niveau social une logique instrumentale ou fonctionnelle, qui existait sans doute, d’une autre manière au niveau animal mais qui a été cassée chez l’homme par le développement sans frein de l’imagination. » C.du L. VI p.124

En clair les institutions et significations imaginaires sociales chez Castoriadis sont ce qu’il est communément admis de nommer les valeurs symboliques.
Qu’est-ce qu’une valeur « symbolique » ?
Toute société humaine se donne, se créée, institue des valeurs, lesquelles ne sont pas strictement nécessaires à sa survie matérielle, pour cela elles sont dites « symboliques ».
Exemple : le pain est nécessaire à la survie matérielle de la société, mais l’hostie non. (Ceci dit, rien en vous empêche de manger un kilo d’hosties et si elles sont bénies, cent grammes suffiront.)
L’hostie est bien investie d’une valeur symbolique, transcendante, celle que lui confère la religion, la plus universelle des institutions imaginaires sociales.
De là découle qu’une valeur est tout simplement une chose à laquelle « on croit » dur comme fer ; à la fois faite pour être crue et symétriquement « valeur » parce que crue. Cette redondance est précisément le fait de l’INSTITUTION.

Les significations imaginaires sociales ou valeurs symboliques font sens pour chaque société et chaque individu au sein de cette société, et elles sont éminemment opératoires : on peut aller à la guerre pour « Dieu », pour la « patrie », pour la « nation », valeurs symboliques totalement abstraites, mais d’une formidable puissance.

On peut aussi dépenser sa vie à la gagner pour obéir à la mode, aller vite, avoir le confort, consommer du loisir, communiquer instantanément au monde entier, etc. Mais que sont mode, vitesse, confort, loisirs, communiquer ? sinon et avant tout des valeurs symboliques qui avec l’avènement de la société de consommation cachent dans leurs bagages bon nombre de « marchandises »... CC nommait cela des « imperçus immanents » CduL IV p.116 : « Personne n’a jamais vu une marchandise : on voit une voiture, un kilo de bananes, un mètre de tissu. C’est la signification imaginaire sociale marchandise qui fait fonctionner ces objets comme ils fonctionnent dans une société marchande » De la même façon, personne n’a jamais vu Dieu, mais c’est la signification imaginaire Dieu qui fait fonctionner l’hostie comme elle fonctionne dans une société religieuse.

Mais il y a plus grave que mourir à vingt ans au volant de sa bagnole pour aller vite, ou mourir d’anorexie pour être mince et passer à Star Académie, on peut aussi être torturé par l’Inquisition, avec la bénédiction du pape, pour avoir blasphémé ou être fusillé en toute légalité pour avoir déserté. Ce qui nous conduit aux ultimes développements du phénomène « institution » qui seront LA LOI d’une part et d’autre part LE POUVOIR.
IV La loi

1) L’institution s’autolégitime dans la Loi, dans le Droit
C.du L. VI p.67
« Toute société institue à la fois son institution et la ’’légitimation’’ de celle-ci »
Martine Rémond-Gouilloud, in « L’homme, la nature et le droit ». Bourgois, 1988, p.203
« Instituer, c’est faire advenir à l’univers juridique ».

La loi est une institution majeure destinée essentiellement à légitimer l’institution globale de la société, procès parfaitement tautologique et circulaire qu’illustre cet axiome fondamental du droit, cette Loi première de toute les Lois : « nul n’est censé ignorer la Loi ».
En nous instituant comme société, nous nous donnons des lois, et la première d’entre elle sera « nul n’est censé ignorer la Loi »,
ainsi la première loi est de dire que la loi est première.

Elle est fondatrice de ce « nous ». En effet ignorer la loi c’est ne plus faire partie des nôtres, c’est ne plus faire partie de la société, c’est s’en exclure d’office, c’est aussi ne plus accepter le contrat social (Jean-Jacques Rousseau), le vivre-ensemble (Hannah Arendt), c’est encore ne plus parler le même langage.

2) Mais, d’où vient la LOI ? Hétéronomos - Autonomos.
Ici CC distingue deux formes de LOIS (le nomos) : celle qui vient d’ailleurs et celle que se donne les hommes assemblés, c’est le couple « hétéronomos/autonomos ».

a) L’Hétéronomos : la Loi vient d’ailleurs, elle est inquestionnable. Le sens est pré-donné.
Pour imposer sa loi, l’institution use selon CC de trois moyens, le premier est de fabriquer psychiquement le sujet de telle sorte qu’il ne puisse questionner.
« J’ai défini l’hétéronomie comme le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu l’imposent (ouvertement ou de façon souterraine). » CduL VI, p.109 « Car dans une société pré-démocratique, pré-philosophique, la possibilité de mettre en cause et en question l’institution n’existe tout simplement pas » (...) « Personne ne peut affirmer des idées, un vouloir, un désir s’opposant à l’ordre institué, et cela non pas parce qu’il subirait des sanctions, mais parce qu’il est, anthropologiquement, fabriqué de telle sorte, il a intériorisé à tel point l’institution de la société qu’il ne dispose pas des moyens psychiques et mentaux pour mettre en cause cette institution. » CduL VI, p.118. Mais, il faut préciser que, pour une large part, il ne peut en être autrement : « Les bipèdes nouveaux-nés ne deviennent des individus sociaux qu’en intériorisant les institutions sociales existantes. » CduL VI, p.133
Secondement, si d’aventure l’homme parvient à questionner l’institution, celle-ci invoquera alors la nature extra-sociale de la loi :
« J’appelle société hétéronome une société où le nomos, la loi, l’institution est donné par quelqu’un d’autre — heteros — . (...) Dans l’écrasante majorité des cas, la création de cette institution est imputée à une instance extra-sociale, ou en tout cas échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants. (...) Comment pouvez-vous dire que la loi donnée par Dieu est injuste, lorsque justice n’est rien d’autre qu’un des nom de Dieu ? Mais cette source peut être évidemment autre que Dieu : elle peut être les dieux, les héros fondateurs, les ancêtres... » CduL IV p.161

Enfin troisième ruse : la société instituée dispose de toutes les réponses déjà prêtes pour toutes les questions. C’est ce que précise CC en disant que dans les sociétés hétéronomes, les significations sont closes sur elles-mêmes :
« Aucune question qui pourrait être posée dans ce système, dans ce magma de signification, n’est privée de réponse dans ce même magma. La loi des Ancêtres a réponse à tout, la Torah a réponse à tout, le Coran [et la Bible] de même. » CduL IV p.162

Ainsi dans la société hétéronome selon CC, il est pratiquement impossible d’échapper au nomos, bien que la loi soit en réalité une création des hommes et une institution imaginaire, cela ne doit pas être su, ne doit pas être dit afin que la loi ne puisse être remise en question. L’institution façonne psychiquement l’homme pour que la loi intangible soit sa seconde nature. Si le doute l’atteint, l’institution dira que la loi vient d’ailleurs et qu’elle est sacrée. Si par extraordinaire, l’homme persistait à questionner, alors la loi instituée dispose de toutes les réponses déjà prêtes.
Quel est le but de l’institution ? Essentiellement perdurer : « Chaque institution de la société vise à se perpétuer. En général elle réussit à créer les moyens d’y parvenir (...). » CduL VI, p.132

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Nous sommes près de la fin de cet exposé et je voudrai ouvrir une parenthèse pour dire que trois dangers nous guettent (comme ils guettent toutes les assemblées des hommes)
Premier danger : « ne pas vouloir penser » — deuxième danger : « ne pas penser, mais s’exprimer » — troisième danger : « ne pas penser que c’est aujourd’hui ».

Voyons ces dangers un à un
1 — Ne pas penser, ne pas vouloir penser. Objection courante : « c’est trop intello, trop compliqué, kes tu va chercher là, on veut du concret, de l’action, on veut du fun... »
À cela, un seule réponse adressée à celui qui ne veux pas vouloir penser : il n’y a pas d’autre alternative que penser ou être pensé. S’il en est qui préfèrent que les autres pensent pour eux, ça les regarde, nous ne pouvons strictement rien y faire.
2 — Ne pas penser mais « s’exprimer ». C’est la posture artiste que je vise ici, non pas l’art, l’artiste présentement est éduqué à s’exprimer. Or, s’exprimer n’est pas penser, Sartre disait « penser, c’est penser contre soi », et s’exprimer c’est parler de soi, c’est exposer son moi, c’est exprimer son ego.
3 — Ne pas penser que c’est aujourd’hui que cela se passe. Quand Castoriadis parle d’hétéronomie, vous pourriez m’objecter que nous sommes là bien loin des problèmes quotidiens, bien loin du présent, bien loin de croissance et décroissance.
Vous vous tromperiez grandement à penser ainsi, prêtez attention aux discours de nos élites, de nos élus, de l’idéologie publicitaire et communicationnelle : nous en sommes bel et bien revenus à une société hétéronomique (si tant est que nous ne l’avions jamais quittée !).
C’est la croissance qui va nous sortir du chômage !
C’est la consommation qui relancera l’économie !
C’est l’économie mondialisée qui vaincra la misère dans le monde !
C’est la technique qui va résoudre le problème du dérèglement climatique !
C’est le progrès qui va nous inventer une énergie éternelle et gratuite !
C’est le développement durable qui va résoudre les problèmes environnementaux !

Croissance « illimitée », consommation « salutaire », économie « mondialisée », technique « infaillible », progrès « éternel », développement « durable », tout cela est INQUESTIONNABLE. Toutes ces valeurs symboliques, ces significations imaginaires sont des instances extra-sociales, échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants. Elles viennent d’ailleurs, c’est la faute du Marché, de la Concurrence Mondiale, de l’Europe, de Wall street, des Chinois, des Japonais, des Indiens, des Américains... Et pour mieux nier qu’elles pourraient être mises en question, ces mêmes valeurs symboliques ont réponse à tout. Tout en étant inquestionnables, développement, consommation, progrès, technique, économie, croissance ont réponse à tout (c’est-à-dire aux seules questions qu’il est pensable et permis de poser). Exemple, manifestation pour demander une augmentation, réponse du patronat : on voudrait bien mais il faudrait d’abord relancer la croissance par la consommation. CQFD. C’est bien là un système totalement hétéronomique.
b) L’Autonomos : l’assemblée des hommes se donnant à eux-mêmes leurs propres lois.

« Or dans cette masse historique immense des sociétés hétéronomes, une rupture survient dans deux cas (...) la Grèce ancienne [VII°/ V°s.] et l’Europe occidentale (XI/XII°s.) Dans les deux cas on trouve le début de la reconnaissance du fait que la source de la loi est la société elle-même, que nous faisons nos propres lois, d’où résulte l’ouverture de la possibilité de mettre en cause et en question l’institution existante de la société qui n’est plus sacrée, en tout cas pas sacrée de la même manière qu’auparavant. (...) Cette rupture de la clôture de la signification instaure du même coup la démocratie et la philosophie. » CduL IV p.161

« Autonomie : autos nomos (se donner) soi-même ses lois ». Castoriadis ajoutait : « sachant qu’on le fait. »
L’Autonomie, c’est le « surgissement d’un type d’être qui se donne à soi-même, réflexivement ses lois d’être. » CduL III p.131.
L’Autonomie c’est la : « Création de l’idée de retour réflexif sur soi, de critique et d’autocritique, d’interrogation qui ne connaît ni n’accepte aucune limite. Création donc, en même temps de la démocratie et de la philosophie. Car, de même qu’un philosophe n’accepte aucune limite extérieure à sa pensée, de même la démocratie ne reconnaît pas de limites externes à son pouvoir instituant, ses seules limites résultent de son autolimitation. » CduL IV p.100

C’est l’autonomos, la naissance de la démocratie de la philosophie et aussi celle de la politique. Pour Castoriadis c’est le sens profond de toute « Révolution ».

« La politique est projet d’autonomie : activité collective réfléchie et lucide visant l’institution globale de la société comme telle. Pour le dire en d’autres termes, elle concerne tout ce qui, dans la société, est participable et partageable » CduL III p.135

« Qu’est-ce que cela veut dire ? Que dans ces sociétés [Grèce ancienne et Europe du XI°s.] émerge une nouvelle forme de l’existant, de l’être social-historique, et même de l’être tout court : ces sociétés mettent elles-mêmes en question leur institution, c’est-à-dire la loi de leur existence. C’est la première fois que nous voyons un être quelconque mettre en question explicitement, et changer par une action explicite la loi de son existence. (...) Ici le changement des lois se fait consciemment, les questions sont ouvertement posées : est-ce que nos lois sont justes ? est-ce que nos dieux sont vrais ? est-ce que notre représentation du monde est vraie ? » [et pour le présent, nous pouvons nous interroger avec Castoriadis sur l’ensemble de notre système de valeurs :] « Est-ce que notre système de créer de l’information à partir de ce que nous ’’recevons’’ (...) nous donne la vérité ? Est-ce qu’il est efficace ? est-ce qu’il correspond à ce qui est ? » Une Sté à la dérive, p.79
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Conclusion
« Je ne pense pas que les hommes se mobiliseront jamais pour transformer la société, surtout dans les conditions du capitalisme moderne, et pour établir une société autonome uniquement dans le but d’avoir une société autonome. Il voudront vraiment et effectivement l’autonomie lorsqu’elle leur apparaîtra comme le porteur, la condition (...) indispensable de quelque chose de substantif qu’ils veulent vraiment réaliser, qui aura pour eux de la valeur et qu’ils n’arrivent pas à faire dans le monde actuel. Mais cela veut dire qu’il faudra que de nouvelles valeurs émergent dans la vie social-historique. » Une Sté à la dérive, p.86

C’est bien ce pourquoi nous sommes réunis ici ce soir : tenter de faire émerger, d’instituer, de nouvelles valeurs en contradiction et opposition totale avec celles que l’institution véhicule de toute la puissance de ses moyens, de tout son formidable pouvoir. Et ceci passe par une forme certaine d’autonomos.
Vu de l’intérieur, (j’entends au sein de l’assemblée des hommes que nous formons ici), sommes-nous certains que mettre au point des recettes pour décroître et les échanger entre nous suffira ? Certes, si c’est déjà « un bon début », devons-nous nous limiter à cela ?
Vis-à-vis de l’extérieur (c’est-à-dire : à l’extérieur de l’assemblée des hommes que nous formons ici), sommes-nous certains que de solliciter perpétuellement les réponses de l’institution économico-médiatico-politique suffira, alors que nous les savons déjà toutes faites ? Ne devons-nous pas plutôt envisager de nouvelles stratégies radicalement différentes ? Simples questions...

Nous possédons avec Castoriadis de bonnes bases de travail. Nous pouvons en rester là dans le cadre de cet exposé, et nous contenter de cela. Nous pouvons aussi aller plus loin un autre jour et aborder la problématique du pouvoir, sa vie, son œuvre (car toute institution est pouvoir...). Ce qui m’intéresserait personnellement serait de tenter de « nous donner à nous-mêmes nos propres lois », « sachant que nous le faisons » tout en mesurant l’immensité que représente cette tâche.

C’était pour Castoriadis et cela reste, à mon avis, un projet véritablement Révolutionnaire.


IV Le pouvoir

1) L’institution est l’essence du pouvoir, est pouvoir
CC
Pierre Legendre et Louis Marin

2) oikos, agora, ekklesia
Espaces privés (oikos), espaces privé-publics (agora), espace public (ekklesia)
les lieux du pouvoir

[lire] CC. C.du L. VI p.116 à 119

[lire]« La ’’rationnalité’’ du capitalisme » (1997) in C.duL. VI, 65-92 -faire un choix
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« L’imagination est la capacité de poser comme réel ce qui ne l’est pas » CduL II, p.41
« L’imagination, c’est la capacité de faire surgir quelque chose qui n’est pas « le réel » tel que le décrit soit la perception commune (...), soit la physique. » CduL V, p.95
« La raison (...) est la faculté de s’interroger sur les principes. » CduL V p.43
« Si la réflexion ne veut pas quelque chose, elle n’est pas comme réflexion. La quête de vérité est volonté de vérité. » CduL V, p.48
« La pensée, en un sens, dépend de la volonté, parce qu’il faut vouloir penser. Penser n’est ni mécanique, ni passif. » Une sté à la d. p.272
« La disparition de l’imagination va de pair avec l’effondrement de la volonté. Il faut quand même pouvoir se représenter quelque chose qui n’est pas, pour pouvoir vouloir. » CduL II, p.97
« Mais cette volonté est aussi motivée par la réflexion, et par le désir. (...) Mais il ne suffit pas de le désirer, il faut le faire, c’est-à-dire mettre ne avant une volonté (...). » Une sté à la d. p.274-275
« La volonté, c’est le désir sublimé. » Une sté à la d. p.275
« La culture est le domaine de l’imaginaire au sens strict, le domaine poiétique, ce qui dans une société va au-delà de ce qui est seulement instrumental. » CduL VI, p.99
« L’histoire est la somme totale des actions des êtres humains à travers l’espace et le temps. » CduL VI, p.261
« Il existe une parenté profonde entre l’art d’un côté, la philosophie et la science de l’autre. Non seulement ici et là on voit l’imagination créatrice à l’œuvre, mais aussi bien l’art que la philosophie et la science essaient de donner une forme au chaos, au chaos qui sous-tend le cosmos (...) » CduL VI, p.102
« Ce retour du conformisme est un retour général de l’hétéronomie. J’ai défini l’hétéronomie comme le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu l’imposent (ouvertement ou de façon souterraine). » CduL VI, p.109
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« La mère, c’est société plus trois millions d’années de socialisation » CduL V, p.30
« La fin de l’analyse, c’est la capacité du sujet, désormais, de s’auto-analyser » CduL V, p.105
« La finalité de l’analyse, dans le meilleur des cas, est d’aider le patient à devenir un sujet autonome, c’est-à-dire une subjectivité réflexive et délibérante » « Minimalement, on essaye d’aider le patient à passer de la souffrance névrotique à un état de malheur humain banal » CduL VI, p.257
« La psychanalyse a, pour l’essentiel, le même objet que la politique : l’autonomie des êtres humains. » CduL VI, p.231
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« Le prix à payer pour la liberté, c’est la destruction de l’économique comme valeur centrale et, en fait unique. » CduL V, p.76
« Avec les populations occidentales telles qu’elles sont actuellement, une grande catastrophe écologique conduirait plus probablement à nouveau type de fascisme qu’à autre chose » CduL V, p.76
« Et s’il n’y a pas un réveil du projet démocratique, l’ « écologie » peut très bien être intégrée dans une idéologie néo-fasciste. Face à une catastrophe écologique mondiale, par exemple, on voit très bien des régimes autoritaires imposant des restrictions draconiennes à une population affolée et apathique. » Une sté à la d. p.246
« Si le reste de l’humanité doit sortir de son insoutenable misère, et si l’humanité entière veut survivre sur cette planète (...), il faudra accepter une gestion de bon père de famille des ressources de la planète, un contrôle radical de la technologie, et de la production, une vie frugale. » CduL V, p.77
« La seule attitude à adopter, c’est celle du diligens pater familias, du père de famille consciencieux qui se dit : puisque les enjeux sont énormes, et même si les probabilités sont très incertaines, je procède avec la plus grande prudence (...). C’est l’acharnement de Bush [père] et des libéraux qui invoquent précisément à l’envers l’argument de l’incertitude (puisque ce n’est pas démontré, continuons comme avant...) » Une sté à la d. p.242
« L’écologie est essentiellement politique, elle n’est pas « scientifique ». La science est incapable, en tant que science de fixer ses propres limites ou ses finalités. » [Et si un scientifique évoque des limites ou des finalités, il quitte de facto la science pour la politique]. Une sté à la d. p.241
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À propose de l’aphorisme célèbre « l’Etat c’est le monopole de la violence légitime » (de Max Weber) : «  Le Maître de la signification trône au-dessus du maître de la violence légitime » CduL III, p.123
« La tradition signifie que la question de la tradition ne sera pas posée » CduL III, p.130
« La sélection des plus aptes est la sélection des plus aptes à se faire sélectionner » CduL IV, p.15
« La démocratie est le régime de l’autolimitation, autrement dit, le régime de l’autonomie ou de l’auto-institution. » CduL VI, p.119 et 150
« La démocratie est un régime qui s’auto-institue explicitement de manière permanente » CduL VI, p.151
« Le projet d’autonomie est littéralement aussi un projet d’autolimitation. » CduL IV, p.137
« Tout ce qui apparaît doit signifier quelque chose. Il y a pour la société un impérialisme de la signification qui ne souffre pour ainsi dire pas d’exception. Ou alors, il faut que le dispositif social décide explicitement que telle chose n’a aucune signification » Une sté à la d. p.71 [ce qui en soi possède aussi sa signification]
« L’objet de la politique n’est pas le bonheur, l’objet de la politique c’est la liberté » Une sté à la d. p.98
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« L’énorme développement productif et économique des cent cinquante dernières années a été conditionné par la destruction (consommation) irréversible de réserves naturelles ou accumulées dans la biosphère depuis des centaines de million d’années. » CduL VI, p.175
« Le capitalisme vit en épuisant les réserves anthropologiques constituées pendant les millénaires précédents. De même qu’il vit en épuisant les réserves naturelles. » Une sté à la d. p.100-101
« Il ne faut pas oublier que l’énorme succès du capitalisme s’appuie, entre autres, sur une destruction irréversible des ressources biologiques que trois milliards d’années ont accumulés sur terre. » Une sté à la d. p.194
« La ’’rationalité’’ de l’économie ne sera(it) jamais que la rationalité d’un système de moyens, et le jugement sur celle-ci est suspendu à celui portant sur la rationalité des fins que ces moyens réalisent » CduL VI, p.173
« Quant à l’identification du savoir et du pouvoir, il s’agit d’une mystification, propagée par le pouvoir lui-même (...) » Une sté à la d. p.143
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« Quand j’éduque quelqu’un, je résous ce paradoxe : en empiétant sur son autonomie potentielle, je lui permets de réaliser une autonomie effective » Une sté à la d. p.104
« Mais où les prend-on donc, ces ’’individus’’ ? Est-ce qu’ils poussent dans la nature ? L’individu est une fabrication sociale » CduL VI, p.122
« L’individu est, en fait, le porteur concret effectif des institutions de la société et il est, en principe astreint par construction pour ainsi dire, à les maintenir et reproduire » CduL VI, p.270
« Comment changer la société, si les acteurs, comme les instruments du changement sont des individus vivants, en qui s’incarne précisément ce qui doit être changé ? » CduL VI, p.136
« Aucune révolution ne se fait sur une table rase, ni ne peut, le voudrait-elle, produire une table rase. » Une sté à la d. p.178

1 commentaire:

davidamescurtis a dit…

Nous avons recense ce texte sur notre site Cornelius Castoriadis/Agora International. Nous voudrions nous mettre en contact avec l'auteur, Michel Guet. Merci de nous repondre.

Sincerement,

David Ames Curtis
Agora International
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